Signalée depuis une haute antiquité, l’importance du soleil chez les Berbères est attestée par les données archéologiques, iconographiques, épigraphiques, ainsi que des observations ethnographiques témoignant de cérémonies saisonnières (fêtes des solstices et des équinoxes), mythes, formules et gestes rituels en rapport avec cet astre. On sait depuis Hérodote que les Libyens « sacrifiaient au soleil et à la lune » (IV, 188), mais aucune précision n’est fournie concernant le contexte de ces sacrifices, dont on peut supposer qu’ils devaient se dérouler au sein d’un panthéon organisé, réservant une place aux cultes solaire et lunaire.
L’histoire des religions montre que le soleil est devenu le Dieu suprême à la suite des dieux ouraniens primordiaux, trop éloignés des préoccupations humaines et qui se sont peu à peu solarisés. Le culte solaire se serait installé seulement dans les sociétés où l’on trouve des destinées historiques, c’est-à-dire là où grâce aux rois, aux héros, aux empires, l’histoire se trouve en marche… « Il y a un parallélisme entre la suprématie des cultes solaires et la diffusion de la civilisation historique » (Eliade), propos confirmé par des travaux récents :
« This is especially clear in the many cases where humans directly descend from the sun deity. This automatically leads to the establishment of local (noble) lineages. It must be clearly understood and strongly underlined, however, that this development could take place only after the emergence of more complex societies, such as those of food producers in Neolithic times » (Witzel).
L’Afrique du Nord connaissait la royauté, de même que, sans doute, la divinisation des rois et des héros ; cependant, on ignore si les souverains étaient des « rois solaires » (descendants du soleil) et jusqu’à quel point a été poussée la prépondérance de ce culte. Ainsi, l’exemple de l’Egypte est celui qui a poussé très loin le culte solaire, lequel existait bien avant la Ve dynastie, moment où il se généralise ; de nombreuses divinités sont fondues avec le soleil et donnent naissance à des figures solarisées dont la plus célèbre est celle d’Amon-Rê ; auparavant, Amon était une très vieille divinité du ciel. Le succès de ce culte provient du renforcement de la notion de souveraineté. Cependant, ce qui vaut pour l’Egypte ne vaut pas nécessairement pour l’Afrique du Nord, pour laquelle nous ne disposons d’aucune indication concernant les représentations symboliques de l’astre à l’époque d’Hérodote, ni les mythes élaborées à son sujet, ni de quelle manière s’est opérée sa divinisation. L’état actuel des connaissances, malgré une abondante iconographie qui s’est perpétuée à travers le temps, se limite à des éléments épars et partiels relevant de plusieurs disciplines, ne permet de poser aucune hypothèse sérieuse sur le sujet, et toute tentative de reconstruction d’un système cosmogonique d’avant le monothéisme ne serait que conjecture. On se contentera donc surtout de pallier à l’éparpillement en regroupant ces données dispersées.
Sources anciennes
Gsell ne fait pas cas de l’assertion d’Hérodote, ni des dédicaces latines à Sol et à Luna, ni des images des deux astres qui apparaissent sur des stèles dont il écrit qu’elles sont « trouvées en général dans des lieux où les civilisations punique et romaine s’étaient fortement implantées ; car il est probable ou certain que ces monuments se rapportent à des croyances d’origine étrangère » (I, 249). L’auteur apporte cependant une nuance à ses propos en attachant de l’importance à un passage d’Ibn Khaldoun (I, 177) qui parle de Berbères païens, adorateurs du soleil et de la lune : « on peut supposer qu’il s’agit de cultes vraiment indigènes » écrit-il en renvoyant à Basset sur les Guanches de l’île de Palma, « Les Guanches de Palma (Canaries) vénéraient le soleil et lui donnaient le nom de Magec, et aussi d’Aman, qui paraît avoir signifié Seigneur ». Il accorde également crédit au passage de Macrobe (Saturnalia, I, 21, 19) sur les Libyens qui « regardent comme le soleil couchant le Dieu Ammon, représenté avec des cornes », pour, finalement, conclure tout à fait différemment :
« On pourrait même être tenté de se demander si le culte du soleil et de la lune, répandu chez les Libyens au temps d’Hérodote, vers le milieu du Ve siècle, ne leur venait pas des Phéniciens. En ce qui concerne la lune, les documents nous manquent pour dissiper nos doutes. Il n’en est pas de même pour le soleil : il y a de fortes raisons d’admettre que le culte de cet astre est antérieur, en Berbérie, au développement de la colonisation phénicienne » (I, p. 250).
Pourtant on peut penser que le soleil occupait une place de premier plan dans le panthéon numide. Outre le témoignage d’Hérodote, il y a cette formule mise dans la bouche de Massinissa au cours de son dialogue avec Scipion Emilien, par Cicéron, « Je te rends Grâces, Soleil très Haut (Summe Sol), et vous, autres dieux du ciel, de ce qu’avant de quitter la vie d’ici-bas je vois sous mon toit, dans mon royaume, P. Cornelius Scipion » (De Republica VI, 4). Près d’un millénaire plus tard, c’est un moine copte qui a vu sa fidélité envers sa foi mise plusieurs fois
à l’épreuve, dont un épisode avec des Berbères. Il s’agit de Samuel de Qalamun, dont le monastère se trouvait dans le désert libyque égyptien au début du VIIe siècle. Les Berbères l’auraient capturé et emmené dans leur pays où ils l’auraient châtié de ne pas vouloir adorer le Soleil :
« Alors les Barbares revinrent une autre fois et l’emmenèrent encore vers leur pays… Son maître l’obligeait d’adorer le Soleil, et comme il n’était pas d’accord avec lui, il l’enchaîna avec une négresse de la même chaîne et le plaça dans le désert à paître les chameaux, voulant le faire obéir à ses paroles, comme le lui avait conseillé Iblis » (p. 518-9)1.
On peut signaler également des exemples de toponymes et d’anthroponymes consacrant le soleil : une mention du VIIe siècle dit que :
« En Libye, on trouve, dans la Tingitane, le grand et le petit Atlas, le Mont du Soleil, lesquels sont situés sur la rive occidentale de l’Océan et dans les environs de la montagne du Feu et des monts Pouqueré2 ; dans le touareg actuel, on trouve I-n-tafuk, « Gens du soleil » ; les Benì Toufout, « Fils du soleil » sont signalés dans les environs de Constantine (Mercier, p. 267).
Culte du bélier, culte du soleil, bélier solaire
Le dossier complexe du thème du « bélier solaire » des représentations rupestres de l’Atlas et du Sahara, un temps associé à l’Amon-Râ de Thèbes, a été repris par Le Quellec (1993 : p. 123-174), qui l’étend à l’ensemble de l’Afrique en y intégrant les données ethnographiques du continent. Avant lui, d’autres travaux (Gsell, 1913 : p. 248-53 ; 1916 : p.185-7 ; 1927 : p.126-9) ; Bates (p.189-200) ; Troussel (1954); Camps (1979 : p. 1-15 ; 1985 : p. 345-57 ; 1987 : p. 596-99 ; 1988 : p. 65-82 ; 1991 : p. 1417-1433) ont discuté du sens à donner aux représentations rupestres sahariennes des ovidés à attributs céphaliques en rappelant la place importante que tenait déjà le bélier dans les croyances des populations locales de l’antiquité (témoignages de Servius ; Saint Anathase ; Macrobe). Plus tard, c’est El-Bekri qui écrit, « Dans une montagne escarpée, à côté des Benis Lemas, se trouve une tribu de Berbères idolâtres, qui adore un bélier » (p. 355). Malgré ces données, Camps refuse de voir dans les représentations rupestres de l’Atlas une influence du culte du bélier solaire de Thèbes du fait qu’elles lui sont antérieures d’au moins deux millénaires (M. Hachid va plus loin encore et le fait remonter jusqu’au Xe millénaire). De plus, l’analyse précise des éléments de la coiffe que porte l’animal, ainsi que celle de son entourage humain, montre que nous serions plutôt en présence de la représentation d’un bélier offert en sacrifice à une divinité inconnue. A la suite de Camps, l’étude extensive de Le Quellec s’en tient à rassembler des indices tendant à prouver l’existence d’un culte du bélier, sans chercher à lier explicitement cet animal à un culte du soleil, et pense que si on ne peut pas conclure à l’existence d’un culte du bélier du fait de l’absence de figuration de la divinité à laquelle ces animaux pouvaient être sacrifiés, il n’empêche que :
« l’emphatisation fréquente de l’animal, et la minimisation consécutive du personnage (voire son omission) plaident en faveur de la révérence des auteurs des œuvres vers ces animaux.
- Traduit du copte par E. Amélineau dans le vol. 4, 2e fascicule des Mémoires de la mission archéologique française au Caire, sous le titre « Monuments pour servir à l’histoire de l’Egypte chrétienne au IVe, Ve, VIe et VIIe siècles », publié en 1895.
- Héxaméron de Jacques d’Edesse, § 10 du Manuscrit de Lyon.
En toute rigueur, on ne peut affirmer que ce sentiment de révérence avait la même motivation que les nombreux faits africains ou égyptiens…, et on ne peut savoir si l’Ovidé à sphéroïde représenté sur les rupestres était bien considéré comme un « Ovidé divin », comme une présentification » de la divinité, ou comme son symbole… Mais on peut au moins évoquer l’hypothèse selon laquelle les scènes représentées sur les rupestres ne feraient que réactualiser un épisode cosmogonique parmi bien d’autres, sans rapport direct avec une divinité » (p. 173-4).
formulation qui n’exclue donc pas un rapport indirect.
Quant à l’analyse de Camps, elle ne tient pas compte des données ethnographiques. Mythes, croyances et proverbes, bien que peu nombreux et ne remettant sans doute pas en cause la conclusion de l’auteur, méritent d’être mentionnés du fait, assez rare, qu’ils contiennent un lien explicite entre le bélier et le soleil. Les deux mythes, 5 et 14, du volume I des Contes kabyles recueillis par L. Frobenius au début du XXe siècle en fournissent une illustration. Le premier, « L’origine des moutons et la division de l’année » explique comment la Première
Mère du Monde a créé, à partir de farine et d’eau, les premiers moutons, qui, ensuite, n’eurent qu’à se multiplier jusqu’au terme de leur vie, à l’exception du premier créé qui ne mourut pas comme les autres ; il était en effet monté sur une très haute montagne jusqu’à heurter le soleil avec ses cornes. Depuis, ce bélier tourne avec l’astre, la boule du soleil accrochée à ses cornes : « Die Sonne haftete an ihm und so wandert er von da an mit ihr » (1921 : p. 73). Dans le second mythe, « L’origine du soleil et de la lune », le soleil est crée à partir d’une lésion de la paupière d’un agneau, prélevée et jetée dans le feu par la Première Mère du Monde (notons au passage que la paupière du mouton intervient aussi dans les rites du mariage chez les N’tifa, où la matrone en prélève un morceau qu’elle met en collier à la mariée. (Laoust, 1993 : p. 129). L’agneau contempla le feu et vit le soleil en sortir puis s’élever vers le ciel : « Der jung Widder blickte in die Feuerflamme. Nach einiger Zeit ging darauf aus dem Feuer die Sonne auf, die seitdem die Welt erhellt. Seitdem ist es hell, und das verdankt man dem jungen Widder” (p. 85), ce qui a donné le proverbe « Le feu de l’œil de l’agneau illumine tous les ciels de la terre ! » (trad. De M. Fetta établie à partir d’une transcription très approximative de l’auteur allemand : « Thirt isimer ischa’scha’ th’imis thegjenuan tzmura » (p. 85). On peut y ajouter un exemple puisé dans le registre des énigmes, rapporté par Allioui, « Yekk-ed zimer degg usamar / Yeggwi-d degg wewraɤ degg učamar » « L’agneau qui vient de l’Est / Apporte l’or dans sa barbe » – Réponse, « Le lever du soleil ! » (p. 64). « Selon les conceptions fezzanaises, le Soleil est un Bélier qui se cache derrière les nuages pour lancer la foudre » (Le Quellec : p.161). Enfin, la croyance très répandue en Afrique du Nord du mariage entre un humain et un génie fournit l’exemple d’un « génie ayant une tête de mouton avec du feu au bout de chaque corne » (Doutté : p. 89). Dans l’Algérie du 19e siècle, « Quand une brebis mettait bas une femelle, ce fruit de son ventre appartenait au maître du troupeau ; quand elle mettait bas un mâle, on le réservait pour les dieux ; mais, donnait-elle à la fois deux jumeaux, l’un femelle et l’autre mâle, on disait : « Cette dernière a racheté son frère », et l’agneau n’était pas immolé, et la mère était appelée ousila »» (Certeux et Carnoy : p. 189). Ces quelques exemples contemporains sont à manier avec précaution mais ne peuvent être négligés car ils reposent la question, sinon de la divinisation du bélier, du moins de sa sacralité, et surtout de ses liens avec l’astre du jour.
Parcours du Soleil
Il semble que le soleil ne se couche pas en descendant dans la terre mais en tombant dans la mer (Légey : p. 45 ; Allioui : p. 59), sans que nous ayons de précision concernant la nature du lieu d’où il émerge à l’aube et où il s’enfonce au crépuscule, ni de ce qu’il devient durant la nuit. En Kabylie, le séjour nocturne est rendu par l’énigme :
Sin leḍyur bedden f ṣṣur «Deux oiseaux perchent sur un mur
Lembat-nnsen di lebḥur. Ils passent la nuit dans les mers.
– Iṭij d waggur. -Le soleil et la lune. (Allioui : p. 59).
Néanmoins, quelques informations au sujet de son parcours permettent de penser que le soleil n’est pas seul lorsqu’il accomplit sa course et que celle-ci est effectuée grâce à un équipage. C’est ce qu’indiquent trois observations ethnographiques relevées au début du 20e siècle dans le sud du Maroc et au Mzab. L’une vient des informateurs de Justinard au sujet des miracles accomplis par le célèbre saint Sidi Hmad ou Moussa (15e-16e siècle) : « Après qu’il eut reçu la faveur de Dieu, Sidi Ahmed ou Moussa voulut renoncer au monde. Il fut enlevé au ciel et il était parmi les créatures qui traînent l’attelage du soleil » (p. 17)… Le matin, au lever du jour, il vit passer les anges qui traînent le soleil. Il voulut les accompagner. Il devint l’un d’entre eux et ils étaient étonnés de la force qu’il avait » (p. 25). La seconde, mentionnée par la Doctoresse Légey présente un autre saint, également conducteur du soleil, le Saint Sidi Ali Ben Hamdouche (17e siècle). Ses informateurs, de la région de Marrakech, le présentent comme ‘gouad chems’, « conducteur du soleil », en précisant son grand pouvoir, « Partout où j’irai avec mon bâton tu iras, et il parcourt le monde, suivi du soleil » (p. 46).
Ce deuxième exemple, fortement islamisé présente un saint dominant le soleil et le faisant lui obéir ; le Dieu de l’islam, par l’intermédiaire de son Saint a remplacé l’ancienne divinité solaire mise sous son pouvoir. D’après ces deux exemples, une élaboration mythique d’un soleil divinisé et tiré par un attelage sacré de plusieurs créatures (exprimées ici sous forme islamisée en saints et en anges), une sorte de char solaire, n’est pas improbable, il pourrait même s’agir de personnages dont le rôle est de protéger la divinité solaire (sur certaines représentations, le soleil est accompagné de quatre
« aides »). D’autre part, cet attelage semble indiquer que l’effort exigé par la traction de l’astre requiert une grande puissance physique (« ils étaient étonnés de la force qu’il avait »), et spirituelle (« il a renoncé au monde et fut enlevé au ciel »). On peut signaler un troisième exemple d’un soleil « accompagné » : un motif de broderie du Mzab dénommé Tebbaɛ eš-šemš, « Suivant du soleil » (Gaudry, pl. XVI, p.7).
Au plan linguistique, le soleil est désigné par le même mot féminin dans tous les parlers, tafukt / tafut / tufut / tfwit / tafuk / tafuct /. R. Basset considère que c’est à partir de la racine principale /F/ que dérive une racine secondaire FU, « clarté, lumière du jour », puis FUK qui a donné le mot pan-berbère. Pour lui, cependant, le mot primitif serait iṭij, conservé dans l’ensemble de la Kabylie, et seulement dans cette région, et qui aurait donné le mot Mettidja, « l’Ensoleillée ». Laoust, quant à lui, se demande si on peut rapprocher iṭij d’afeṭṭiwj, « étincelle » et de feǧeǧ, « étinceler. Le cas du kabyle a ici son importance. Il connaît en effet deux mots pour désigner le soleil, l’un masculin, iṭij, l’autre féminin, tafukt, et il connaît également deux mots de genre différent pour désigner la lune, l’un masculin ayyur, l’autre féminin tiziri, celui-ci désignant plus précisément le « clair de lune », mais aussi la « lune » elle-même. L’expression tiṭ n tafukt signifiant « le globe solaire » existe en kabyle et dans les parlers marocains, ce qui laisse penser que tafukt se rapporte davantage à la lumière et au rayonnement plutôt qu’au globe lui-même. L’existence des expressions kabyles ayyur n tziri, « pleine lune », ayyur n yiṭij, « disque solaire » semblent indiquer que le sens premier de ayyur devait être « disque astral » (Chaker : p. 4445). Si pour le vocabulaire du soleil, le kabyle se présente comme un cas unique, il n’en est pas de même pour celui de la lune que de nombreux parlers dotent de deux vocables exprimant les deux genres. Dans certains parlers du Maroc, en kabyle, en touareg c’est un mot féminin qui désigne le clair de lune, tayyurt, tandis que le masculin, ayyur, désigne « le croissant » ou « le premier quartier » (Laoust : p. 182). Cet état de fait linguistique pourrait recouvrir une conception complexe, mixte des deux astres où chacun serait composé des deux entités sexuelles complémentaires où se lirait « la vision gémellaire du monde de la cosmogonie touarègue », selon la formule de Claudot-Hawad. De nombreux contes mettent en scène deux enfants jumeaux de sexe différent, héros à la chevelure d’or. Les mythes les plus anciens à travers le monde racontent tous des histoires de famille mettant en scène des divinités sexuées, les astres faisant partie de ces histoires. Une bivalence sexuelle de la lune et du soleil n’est pas impossible à envisager, et on peut penser qu’une vieille mythologie berbère a pu élaborer une manière originale de traiter cette bipolarité, où les principes masculin et féminin seraient portés, l’un par le globe et l’autre par sa lumière, chaque astre formant un ensemble mixte. Un mythe kabyle de « l’origine du premier buffle sauvage », accorde au soleil un rôle créateur. L’astre, par sa « brûlante » chaleur permet à la semence d’un jeune taureau privé de femelle de devenir féconde, et donner ainsi naissance aux premiers animaux sauvages (Frobenius, I, 3). Jusque-là, la semence, privée de matrice où se développer et exposée sur une haute montagne demeurait stérile ; le soleil semble donc ici remplacer la matrice de la bufflonne.
Sources du soleil
Plusieurs données, anciennes et récentes évoquent une ou deux « sources du soleil », dont seule la mention d’Hérodote est reprise dans les travaux des deux auteurs, Gsell et Vicychl.
– Le témoignage le plus ancien est celui d’Hérodote, qu’il convient de citer in extenso :
« A dix jours [à l’ouest] de Thèbes vivent les Ammoniens… Ils ont une source spéciale, dont l’eau, tiède au point du jour, est assez fraîche à l’heure du marché, et très froide au milieu de la journée… Vers le déclin du jour, elle se réchauffe peu à peu, jusqu’au coucher du soleil, et à ce moment-là elle est tiède. Ce n’est pas tout : elle continue jusqu’au milieu de la nuit à s’échauffer, et alors elle bout comme de l’eau qui passe par-dessus bord. Cette heure franchie, elle se refroidit jusqu’à l’aurore ; cette source est surnommée la source du soleil »
(IV, 181).
Vicychl précise que cette source se trouvait à l’extérieur de l’acropole du temple d’Ammon. Il ajoute qu’aujourd’hui la source s’appelle Aïn El Hammam, « Source du Bain ». C’est une petite place d’eau avec un petit bassin d’eau claire. La température est jour et nuit inchangée à 29° ; c’est à cause de la différence de la température de l’air qu’elle apparaît chaude ou froide (p. 678).
– Au Moyen-Âge, on trouve deux mentions dans El-Bekri :
« Badja, grande ville, entourée de plusieurs ruisseaux, et bâtie sur une haute colline qui porte le nom d’’Aïn es-chems’ [la fontaine du soleil] qui a la forme d’un capuchon. Parmi les sources d’eau douce qui arrose cette place et les campagnes voisines on distingue l’Aïn es-chems, située auprès de la porte du même nom et tout à fait au pied du rempart » (p. 119).
Plus loin il écrit encore :
« La rivière Fermîoul prend sa source dans les montagnes d’Aïn es-chems « la Source du soleil » et de Metrara. Cette source est très abondante ; elle jaillit dans le village de Nasr ibn Djerou » (p. 213).
– A la fin du XVIIIe siècle, le voyageur anglais W. Brown signale la même remarque des habitants qu’ils visitent :
« Une des sources qui se trouve près des ruines de Siwa est, suivant le rapport des gens du pays, tantôt froide et tantôt chaude » (p. 35).
– Dans le Mzab des années 1920, une légende raconte qu’on honore le soleil au jour de l’Achoura car « il sort de deux sources jaillies sous les pieds d’Isaac, aux premiers mouvements qu’il fit à sa naissance. Dieu mélangea l’eau de ces deux sources, douce comme le miel, fraîche comme la neige, parfumée comme le musc » (Goichon : p. 157).
Quelque chose de semblable se trouve aussi en Kabylie (Djemâa-Saharidj) où une source sacrée à l’intérieur d’une grotte est habitée par un enfant aux cheveux d’or. Cette source fait l’objet de pieux pèlerinages :
« On n’y vient pas honorer le rocher ou l’eau. C’est un endroit où se tiennent les assemblées des Saints, puissent-ils nous être propices et ne nous causer aucun mal (amkan i dg i țnejmaɛen yegrawen el-lawleyya, a-ɤ-d yenfeɛ Rebbi s-elbarakka-nnsen, imenɛ-aɤ g-lemdeṛṛa-nnsen). On y trouve un enfant nu à la chevelure blonde comme l’or. Dès que les gens entrent, il plonge dans l’eau et se réfugie au fond, où personne ne peut le voir. On apporte des figues sèches, de la galette, que l’on distribue aux pèlerins ou aux bergers trouvés sur place » (Genevois : p. 24).
– Dans le sud-ouest libyen des années 1950 ;
« A Mourzouk, hors des remparts de la ville, était une source à laquelle les femmes rendaient un culte. Elle était habitée par Djedda (la Grand-mère) que chacun pouvait apercevoir plonger dans l’eau quand le soleil se levait, se couchait ou était à son zénith » (Pâques : p. 249). La source était entourée de huit palmiers, un mâle et sept femelles. Une fois par an avant les semailles, une procession de femmes se rend à cette source, en fait le tour et s’arrête devant un palmier mâle. On brûle des parfums en l’honneur de Djedda et l’eau se met à bouillonner ; on sacrifie de préférence un bélier, sinon une chèvre ou une volaille » (Pâques : p. 250).
On sait par de nombreux travaux que l’Afrique du Nord regorge de sources sacrées faisant l’objet de pèlerinages, mais les sources spécifiques dites « du Soleil » signalées depuis Hérodote jusqu’à aujourd’hui, constituent une donnée qui n’a jamais été interrogée par les chercheurs et demeurent donc pour l’instant tout à fait énigmatiques.
L’exemple du Mzab présente la sortie du soleil depuis deux sources, mais le plus intéressant est que cette sortie ressemble à la naissance d’un enfant divin. La thèse de Colin sur l’onomastique libyque dans l’Egypte ancienne rapporte une attestation de la notion d’un dieu-enfant, datée entre -827 et -822 qu’il transcrit NḪ-N3-Ṯ3(W)-WYDN, Ouyd(y)n étant l’interprétation libyque du Dieu égyptien Héka, « l’enfant » (Colin : p. 19). Même si on ne peut pas tirer grand-chose d’une seule attestation, l’exemple ne manque pas d’intérêt car la notion d’enfant-divin implique des parents également divins. Nombre de contes ont élaboré l’histoire d’un enfant-héros à la chevelure dorée ou au front d’or comparé au soleil et habitant une source. Parmi ceux-là, un type de conte assez répandu montre un enfant en lien avec la lumière et le soleil ; cet enfant-soleil est souvent un bébé-prince trouvé près d’une rivière, et sur le front duquel sont inscrits clairement les signes de la Lune et du Soleil ; dans certaines versions, cet enfant va jusqu’à diffuser lui-même la lumière :
« Il avait un trait particulier : sa chevelure blonde émettait, la nuit venue des rayons lumineux qui chassaient les ténèbres et éclairaient la pièce où il dormait. Il n’était pas nécessaire d’allumer une lampe pour voir distinctement » (Oussedik : p. 103).
L’usage linguistique de la couleur jaune apporte un élément supplémentaire. Le soleil connaît trois moments au cours de sa trajectoire, traduits par trois couleurs différentes, rouge lorsqu’il sort, blanc lorsqu’il atteint le zénith, jaune au crépuscule. Or, dans tout le monde berbère, le jaune se présente comme une couleur essentiellement négative. Elle recouvre l’idée d’affaiblissement, de pâleur, de dépérissement, de maladie, toutes notions rendues par le verbe ssiwreƔ, « jaunir », « avoir la jaunisse », « devenir pâle », « être livide », ainsi que l’expression nominale tawerɤit n tfwit (Wargla), tawarƔit n tufut (Nefoussa), «jaunissement du soleil » ; utilisés pour le soleil lorsqu’il décline, ce verbe et ces expressions le sont de la même manière pour les personnes vieillissantes, malades ou affaiblies. C’est pourquoi nombre d’activités tiennent compte de ce moment et sont évitées.
« Durant la journée, la phase ascendante du soleil, est celle qui est recommandée pour les activités, contrairement à celle de son déclin qui fait craindre que la farine moulue rende moins de vertus nutritives, bref tout ce qui conduit à l’appauvrissement du logis » (Desparmet : p. 45).
On ne prête pas son levain après la prière de l’après-midi sous peine de donner des maladies dermatologiques à ses propres enfants (ibid., p. 49). Après le coucher du soleil, on ne prête ni ne demande du feu, on évite de se peigner, de se regarder dans un miroir, de balayer, de coudre, de laisser sortir les enfants (p. 52). Le linge du bébé mis à sécher doit impérativement être rentré avant le coucher du soleil « pour que le bébé ne pâlisse pas comme le fait l’astre du jour. Si cette précaution n’a pas été prise, la mère doit en frapper le mur chaque fois qu’elle les ramasse après le coucher du soleil ; le bébé sera aussi solide que ce mur. En prévention d’un oubli, elle laisse une pièce dehors jusqu’au lendemain, le jour de la première toilette (3e jour) » (Rahmani : p. 84) ; le danger de l’affaiblissement du soleil ne doit pas contaminer le petit d’homme. On peut alors se demander si les trois moments de la course du soleil ne correspondent pas à trois étapes de sa vie diurne : fragilité au lever, pleine vigueur au zénith, déclin au crépuscule, ce qui pourrait recouvrir l’idée d’une naissance puis d’un dépérissement et d’une régénération durant la nuit. C’est pourquoi sans doute, il a besoin d’un attelage pour le sortir de son séjour chtonien et le tirer vers le haut du ciel, on dit en effet que « quand il ne se lèvera pas, ce sera la fin du monde » (Légey). Le vocabulaire de l’activité du soleil à sa sortie et à son déclin est assez significatif à cet égard puisqu’on parle de montée, « allay n tufut » (Nefoussa, Wargla), « tuli tafukt » (Kabylie), et de chute, « teƔli tafukt »(Kabylie), « aḍa n tefuk» (Aïr), « tuḍa n tfuyt » (Wargla). Cet affaiblissement suivi d’une régénération n’est pas à proprement parler une mort-renaissance car il ne faut pas perdre de vue l’idée que le soleil est le même chaque jour, contrairement à la lune, dont le cycle différent la fait mourir chaque mois, en en faisant naître une nouvelle, qui n’est pas la précédente (Légey, Claudot).
Un passage des Cahiers de Belaïd At Ali (Kabylie), offre une vision du soleil à différents moments de sa course.
“Ahat tura ad yili ineṣṣef wass. Iṭij di tlemmast igenni neƔ wissen anda, deg-akken yuƔ mkul amkan. Alamma d yeqqel, mi ţqerib ad yeƔli, ara yenğen bnadem a t-iwali ; wamma tura, ddunit yak d neţţa”.
« C’est le milieu du jour. Le soleil au milieu du ciel ou on ne sait où, puisqu’il est partout. Jusqu’à son retour, lorsqu’il est prêt à se coucher, les gens le voient de nouveau ; alors que maintenant, la terre entière c’est lui (il est partout sur la terre) » (p. 362).
Dans ce fragment, on saisit la blancheur de l’astre à son zénith, dont le globe, dilué dans l’éclat de sa propre lumière, diffusée sur toute la terre, est devenu invisible. Au crépuscule il reviendra de nouveau en un globe affaibli et jaunissant, de nouveau délimité et visible. L’inefficacité du soleil couchant s’illustre dans le proverbe kabyle, « Iṭṭij n tmeddit ur yeskaw aceṭṭid, ur itekkes asemmiḍ ! », « Le soleil du soir ne sèche pas un habit, ne débarrasse pas du froid ! » (At Mensur : p. 118). Cette fragilité se trouve encore soulignée dans cette expression, « Ula d iṭṭij d-tziri ţţaḍnen », « Même le soleil et la lune sont parfois malades ! » (Dallet : p. 837).
Eclipse du soleil
Mis à part le nefoussi où l’éclipse de soleil, twarɤit n tufut, se réfère au « jaunissement », et le touareg amîheƔ qui renvoie à l’idée « d’enlèvement, de razzia », c’est le verbe arabe, « fsax », « s’évanouir », « pâlir », « délavé » qui est en usage. Parmi les mythes kabyles rapportés par Frobenius, le septième, intitulé « La première éclipse du soleil et le premier sacrifice humain », (p. 48), rend responsable du phénomène la Première Mère du Monde, personnage important de la cosmogonie berbère souvent à l’origine des premiers actes de création. Au sud du Maroc on dit que c’est par son action que le ciel a été séparé de la terre sur laquelle elle a jeté les piliers-montagnes, qui depuis le soutiennent :
« Par l’intervention d’une vieille femme, le ciel s’est mis à monter très haut, loin de la terre. A la fin du monde, le ciel recouvrira la terre comme un suaire… La terre est fixée par les piquets du monde » (Légey : p. 16-19).
En Kabylie, une vieille formule encore en usage implore ces poutres sacrées ou les prend à témoin dans la prononciation des serments : A yejgwan yeṭṭefen igenni ! , « Ô poutres qui soutiennent le ciel ! », S yisem n wid yeṭṭefen igenni/igenwan !, « Au nom de ceux qui soutiennent le ciel ! ». Le mythe fait advenir la première éclipse du soleil déjà crée par Imma-s n-ddunnit, « la Première Mère du Monde ». Aujourd’hui ce pouvoir de re-création symbolique du ciel et des astres est détenu par Imma Jidda, la Vieille Mère, ou Settut, « la sorcière » du monothéisme. Celle-ci est capable, dit-on, de faire descendre le soleil ou la lune dans un grand plat d’eau qu’elle bat avec une faucille ; ce personnage ne peut être qu’une ancienne divinité berbère dont les contours restent à préciser.
Dans beaucoup de sociétés, les éclipses des deux astres provoqu (ai) ent une angoisse de fin du monde conduisant à la prostration, au recueillement et à la prière, ou encore à la conjuration par le bruit (coups de fusil, frappe des mortiers de cuivre, des tambourins et autres ustensiles métalliques, hurlements). C’est ce que racontent les Touaregs (De Foucauld et Calassanty-Motylinski : p. 292) qui voient les éclipses solaire et lunaire comme une lutte entre les deux astres, la participation humaine étant là pour faire lâcher prise à celui qui « razzie » l’autre.
Cette lutte à « pleines mains » dans laquelle les Touaregs parlent d’ « étranglement du soleil » est rapportée par Bourgeot, présent dans l’Aïr lors de l’éclipse de soleil du 30 juin 1973. L’auteur souligne à juste titre qu’il s’agit d’un « étranglement » et non d’un « égorgement », sans remarquer que ce détail rappelle le geste de sacrifice des Libyens nomades de l’antiquité qui « tordent le cou de la bête » sacrificielle (Hérodote, IV, 188). Annonciatrice d’un grand malheur collectif, voire de la fin du monde, l’éclipse de soleil demande une prière particulière, salat lxusuf, pour l’empêcher de s’évanouir tout à fait (Légey : p. 46). En Kabylie, l’éclipse du vendredi 8 avril 1921, avait provoqué un jeûne de trois jours. (Desparmet : p. 36-37). Il arrive aussi qu’on adopte l’attitude ancienne d’imploration en attachant les enfants les bras derrière le dos (Légey : p. 47). Selon une expression kabyle en usage, le soleil peut avoir pitié des humains, expression qu’on retrouve dans la littérature moderne sous la plume de R. Alliche dans son roman, Faffa, où il écrit à propos d’une jeune victime, « idaṛṛen cekklen s tzikert,
taksumt is ațțɤiḍ iṭij » (p. 100), « les pieds liés avec une corde, elle ferait pitié au soleil ».
Enfin, dans la région de Marrakech, on raconte que l’éclipse de soleil signifie qu’il a été avalé
par un Aɛfrit (personnage maléfique), et que lorsque celui ci le vomit, il brille à nouveau (Légey : p.47). Cette conception suggère que l’astre vit sous la menace d’une puissance dangereuse dont on ignore la nature, mais qui n’est pas sans évoquer le serpent posté en travers de la barque solaire de l’Egypte ancienne.
Rites du soleil
Parmi ce qui peut sembler une inflation de gestes et d’attitudes en rapport avec le soleil, on peut relever des rites collectifs à caractère religieux dont le sens ancien s’est perdu, d’autres qui relèvent du domaine thérapeutique ou magique. Certains auteurs rapportent des adresses au Soleil ; A Fès par exemple, on jure par le soleil en disant simplement « Par le Soleil », ou bien en levant la main droite vers l’astre, « Par ce Soleil qui est venu de la tombe du Prophète ». En Kabylie, « nos ancêtres pratiquaient le carnaval (buɛfif/amɤar uceqquf), de peur que le soleil ne s’éteigne. Pendant la fête d’Anzar, les anciens priaient le soleil au moment du coucher la face dirigée vers l’Ouest. » (Allioui : p. 63). Une cérémonie ancienne en vigueur au Mzab a été transférée au jour de l’Achoura :
« A l’Achoura, on prépare khôl et savon spéciaux. Le cheikh et le caïd en tête, tous les hommes, vêtus de leurs plus beaux habits, vont guetter le lever du soleil, et au moment précis où le globe affleure, tous se passent du khôl au-dessous des yeux, afin que la bénédiction descende » (Goichon : p.157).
Quelque chose d’analogue se retrouve dans le sud du
Maroc :
« A l’Achoura, on prépare khôl et savon spéciaux. La femme fait une invocation au soleil après s’être teinte les gencives et la lèvre inférieure avec de la racine de noyer, ‘Que mon souak soit une lune ou un soleil entre mes dents / Que ma chance soit haute… !’ » (Légey : p. 360).
Difficile ici de dire s’il faut y voir le désir de bénéficier de la puissance bénéfique du Soleil ou s’il s’agit de l’aide des hommes apportée à l’astre pour sa montée depuis « sa source».
Il y a de la baraka dans le soleil, l’endroit que ses rayons ont balayé est purifié, et nul besoin d’y étendre une natte pour y faire ses prières. En revanche ses rayons détruisent la baraka de la pluie bienfaisante de Nissan (avril), de même qu’une chaleur excessive de l’astre n’est pas la bienvenue, notamment durant la canicule (12 juillet-20 août julien ; 25 juillet-2 septembre grégorien), où on crache en direction du soleil qui brûle (El Alaoui : p. 49). De nombreux rites thérapeutiques tiennent compte des deux moments cruciaux de la course du soleil : remède contre la surdité au moment du coucher (Westermarck, II : p. 325), contre la jalousie des tout-petits avant le lever (Rahmani : p. 92), jet de la dent de lait ou gâtée accompagné d’une formule en direction de l’astre en échange d’une dent saine, Lalla tiṭṭ n tafukt / amẓ uɤs n uɤyul / fk iyi uɤs n uẓnkḍ, « Dame globe du Soleil, prenez la dent d’un âne et donnez-moi celle d’une gazelle ! ». Parfois l’enfant montre sa dent au soleil puis l’enfouit sous une pierre car si un oiseau devait la picorer, aucune nouvelle dent ne repousserait (Westermarck, I : p. 120 ; Rahmani : p. 132-133 ; El Alaoui : p. 88). Dans le cadre de la magie, il arrive que la femme invoque le Soleil pour faire revenir son mari absent ; au coucher du soleil, elle jette du poivre en grains et de la graine de coriandre. Puis, se tournant vers le levant, elle dit « Que le Couchant revienne, trouvant Un Tel, fils d’Une Telle…. ». Si l’opération n’a pas réussi, on récite l’invocation suivante à un lever de soleil, en brûlant des parfums : « Salut à toi, Ô Soleil / Les gens t’appellent le soleil / et moi je t’appelle Lalla Zirara / Ô toi qui traverses les cieux avec flamboiement / tu briseras le cœur d’Un Tel, fils d’Une Telle… On espère que le retour du soleil ramènera celui du mari » (Doutté : p. 131-132). Dans le domaine de l’oniromancie, l’expression kabyle « targit n yiṭij », « le rêve du soleil », désigne un songe dont le message divinatoire (délivré par le soleil ?) connaîtra une réalité proche, contrairement aux rêves ordinaires dont le délai de réalisation est indéterminé.
Enfin, dans le domaine de la poésie, les invocations au Soleil ne sont pas rares ; à titre d’exemple, ce poème touareg où le poète se languit de sa bien-aimée et exhorte le soleil à se lever :
« Chaque matin, avant tout, je me préoccupe d’avoir la force d’attendre et j’adresse au soleil cette prière fervente : « Soleil, ô soleil, sultan des sultans, gardien du jour, œil du ciel, monte plus vite dans l’azur ! Regarde ! Le faucon, la montagne, le palmier sont plus hauts que toi.
« Monte plus vite ! Monte plus haut que ma voix, plus haut que les cris de la caravane et que ceux du simoun qui veut jeter sur ta face vermeille le voile noir des Ahl-Al-Litham !
« Soleil, ô soleil ! Toi, la rose d’or : Toi, le miel ! Toi, le lion ! Toi le feu ! Abandonne la nuit finissante, la nuit froide, triste et vieille. Laisse-la au chacal affamé qui la veut et qui hurle…
« Soleil, ô soleil, répands dans le ciel l’huile chaude de ton cœur ! Et, comme un fauconnier, je te porterai sur mon front, toi, le chef des oiseaux noble, toi, le faucon aux griffes d’or ! Et je te poserai aux pieds de Dâssine sans pouvoir la courber sous mon baiser !
O Soleil, en te couchant pour mourir sur le sable, tu me tends, afin que je l’offre à ta bien-aimée et à la mienne, l’immense rose dont la pourpre teint nos manteaux d’Aménokal ! » (A.G. AMASTAN, « Ma prière » (Revue Europe, juillet-août 1976, p. 34).
Soleil funéraire
Parmi les représentations figurées, il en est de nombreuses dont on pense qu’il s’agit du soleil à cause de leur forme circulaire, parfois irradiante. Beaucoup de ces représentations se trouvent sur des stèles funéraires ; durant la période romaine, « on trouve quelquefois dans les tombes africaines des disques de plomb marqués de cercles concentriques, symboles du Soleil, qui apparaissent aussi sur quelques stèles » (Picard : p. 145-147). Les plus anciennes sont peintes sur les poteries funéraires de la nécropole de Tiddis.
« La céramique domestique et votive ne comprend pas de décor contrairement à la céramique funéraire. Parmi les motifs ‘aériens’, c’est-à-dire ceux non rattachés à ce que l’on considère comme la représentation du ‘sol’ sont des astres ou des oiseaux. L’astre représenté est certainement le soleil auquel les rayons recourbés donnent l’illusion d’un mouvement giratoire : sur l’autre vase, nous reconnaissons un astre aussi strictement géométrique réduit à ses seuls rayons » (Camps, 1956 : p. 177).
« La présence d’astres, et particulièrement du soleil n’est certainement pas le fait du hasard ou d’un caprice de la potière. L’image du soleil est vraisemblablement un symbole religieux… La présence du soleil entre les palmettes et les oiseaux paraît intentionnelle» (p. 192).
Ces représentations funéraires posent la question du lien qu’entretient cet astre avec les morts, d’autant que cette pratique cultuelle repérée depuis l’antiquité s’est prolongée durant les périodes chrétienne et musulmane et jusqu’au XXe siècle. Ces figurations du soleil sur les tombes signifient-elles que l’astre éclairait le monde des morts durant sa course nocturne, comme c’est le cas dans l’ancienne Egypte ? Vaste question n’ayant pas encore bénéficié d’une recherche sérieuse dépassant le stade descriptif. Bien que le sens et la logique de toutes ces formules et gestes ritualisés paraissent aujourd’hui bien difficiles à percer, ils témoignent d’une ancienne vénération d’un soleil divinisé ayant précédé de longtemps le Ve siècle d’Hérodote.
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Article destiné à l’Encyclopédie Berbère (Peeters) Tome XLIII-2019
ICONOGRAPHIE SOLEIL (voir le fichier PDF à télécharger ci-dessous)
Pierre à gorge préhistorique de Tabelbalet, comportant un cercle à rayons gravé. (D’après J. Morel).
Gravure solaire rupestre. Talat n’Isk, Yagour, Ourika, Maroc (Anonyme).
Linteau de la Basilique de Tébessa, Algérie, IVe siècle. La divinité solaire est ici remplacée par le chrisme mais toujours accompagné de son « équipage ». (D’après un dessin paru dans « Le Tour du Monde », 1880).
Reconstitution du fronton de la Basilique de Tigzirt (Kabylie, Algérie). Ve siècle. Chrisme encadré par deux rouelles solaires. (Cliché N. Plantade).
Pierre gravée de Columnata (Tiaret, Algérie). Char solaire. Antiquité tardive (D’après P. Cadenat).
Sur un coffre kabyle, motif solaire encadré de deux spirales doubles, semblable à la représentation de l’antiquité tardive. (D’après M. Gast et Y. Assié).
Représentation complète du soleil en marche, accompagné de son équipage (quatre petits soleils situés aux quatre angles) sur un coffre kabyle. (D’après M. Gast et Y.Assié).
Porte du Grand Palais d’Abbar, cité royale du Tafilalt, Maroc. (D’après D. Jacques-Meunié et J. Meunié).
Détails solaires sur deux anciennes portes (Haute Kabylie, XIXe s.). Sur la photo de droite, le motif de l’équipage solaire, ici entouré d’un serpent, se trouvait sculpté sur une porte de mosquée. (D’après G. Laoust-Chantréaux pour la photo de gauche ; d’après R. Poyto pour la photo de droite).
Trois motifs solaires de broderie du Mzab au début du XXe siècle. Le troisième est dit « Tebbaɛ eš-šemš »,
« Suivant du soleil » (D’après A.-M. Goichon).
Elément solaire d’une peinture murale dans la maison du cheikh de Tinmel, Maroc en 1920. (D’après Ferriel).
Coffre kabyle récent avec motifs solaires dont une rouelle gravée au bas du pied gauche. (D’après M. Gast et Y. Assié).
Tuile kabyle ornée de deux motifs solaires (D’après un dessin de J.-C. Musso).
Bracelets « solaires » dans le Haut-Atlas, Maroc. (D’après M. Morin-Barde).
Stèles funéraires en bois avec motifs solaires du cimetière de Cherchel, Algérie. (D’après J.-P. Savary).
Stèle à inscription bilingue libyque et latine dont le sommet porte un soleil. Algérie orientale. (D’après
RIL 150).
Stèle funéraire de la période romaine. Dougga, Tunisie. (D’après M. Khanoussi et L. Maurin).
Stèles funéraires des cimetières de Salé, Maroc. (D’après J. Bourilly et E. Laoust).
Soleil sur un vase funéraire de Tiddis, Algérie. IIe siècle après J.C. (D’après G. Camps).
Tombes des Benì Mguild, Maroc, avec coffres décorés de motifs solaires. (D’ après J. Herber).
Détail des décors des coffres funéraires des Benì Mguild, Maroc, (D’après J. Herber).
Sculptures solaires antérieures au XVe siècle dans une grotte de Birmandrès, Algérie (D’après L. Jacquot).
Grande fresque murale dans l’habitation rurale d’une potière du Chlef, Algérie. Le motif central et les
roues qui s’y rattachent donnent à l’ensemble l’allure d’un chariot mythique, transportant soleil et personnages. (D’après P. Ricard).