par Nedjima PLANTADE
Les taux de natalité élevés au Maghreb sont le reflet de valeurs qui fondent l’existence féminine sur la capacité à procréer. La maternité est extrêmement valorisée. Néanmoins, on observe de fortes disparités régionales et sociales, selon le lieu de résidence (campagne ou ville) et le niveau d’instructions des femmes. En milieu urbain, un niveau de scolarisation plus élevé entraine une fécondité moindre. Selon l’UNICEF, le taux d’alphabétisme féminin en 1985 était, en moyenne, presque deux fois inférieur à celui des hommes : seulement 22% au Maroc, 37% en Algérie, 41% en Tunisie et 50% en Libye. Bien que les accouchements soient de plus en plus médicalisés, la majorité d’entre eux se déroulent encore à domicile, entraînant des taux de mortalité maternelle et postnatale plus de deux fois supérieurs à ceux constatés en Europe.
Mettre au monde est souvent un acte accompagné par une accoucheuse traditionnelle, la qabla du village ou du quartier. Ayant fait ses preuves en matière de maternité (elle a eu elle-même plusieurs enfants), elle jouit d’une grande considération. Détentrice d’un savoir empirique et d’une connaissance des plantes médicinales, elle est aussi guérisseuse. Appelée à assister la parturiente, elle exécute un ensemble d’impositions rituelles codifiées pour veiller à ce qu’aucun lien réel ou symbolique ne vienne entraver la liberté et l’ouverture du corps, en éliminant tout ce qui peut évoquer la fermeture, tel que le foulard retenant les cheveux, la ceinture, les bagues et les bracelets. Massage du ventre, paroles bénéfiques, gestes prophylactiques pour éloigner les forces malfaisantes requièrent son savoir.
La communauté des femmes présentes apporte son soutien en encourageant celle qui accouche. C’est un moment de communion où le corps féminin mis à l’épreuve de la vie et de la mort renvoie dramatiquement à chacune sa fonction biologique première. Cette solidarité amène les femmes à préférer ce type d’accouchement chaleureux à celui en maternité où un personnel débordé ne leur réserve pas le meilleur accueil.
Dans ces sociétés patriarcales, le nouveau-né est reçu bien différemment selon qu’il est fille ou garçon : la première naît dans le silence, le second dans l’explosion de joie avec force youyous. Le cycle de la naissance est clos au quarantième jour, moment des relevailles marquées par la reprise des activités domestiques et sexuelles. La mère est alors sauvée, et son enfant viable.
Article destiné au livre L’état du Maghreb sous la direction de Camille et Yves Lacoste, Edition la Découverte, 1991.