31/08/2024

LA DIMENSION BERBERE AU MAGHREB :

Un bref aperçu

par Nedjima PLANTADE

Comment,  dans une rencontre portant sur le thème de l’identité  au

Maghreb, ne pas évoquer ne serait-ce que brièvement sa dimension berbère. En effet, l’historien  G. Camps nous dit « qu’il n’y a aujourd’hui  ni une langue berbère, dans le sens où celle-ci serait le reflet d’une communauté ayant conscience de son unité, ni un peuple berbère et encore moins une race berbère. Sur ces aspects négatifs tous les spécialistes sont d’accord …et cependant les Berbères existent ».

Anciens habitants de l’Afrique du Nord, les Berbères constituent aujourd’hui un ensemble géographique et linguistique éclaté, éclatement qui n’a rien de surprenant au vu de l’immensité de leur territoire qui s’étend depuis l’Océan Atlantique jusqu’en Egypte et depuis la côte sud de la Méditerranée jusqu’a u fleuve  Niger. Autant dire que cette immensité

Géographique ne peut que favoriser le développement autonome des différents  groupes  tant au plan linguistique qu’au  plan culturel; car on peut à juste  titre se demander ce qu’il y a de commun entre les Touaregs de la zone sahélo-saharienne, les pasteurs du sud marocain et les paysans kabyles  du nord de I’ Algérie. A priori  rien ne les rapproche aujourd’hui hormis la religion musulmane qu’ils partagent tous. Pourtant,  à y regarder de près  on trouve une langue commune (le berbère), une tradition orale, une organisation sociale, des us et coutumes qui réunissent les différents groupes, le critère le plus spécifique et le plus marquant demeurant incontestablement celui de la langue.

Le mot Berbère  présente une origine incertaine ; il nous est transmis  par les Arabes. Certains spécialistes y voient l’appellation   latine Barbarus (pluriel, Barbari), mais celle-ci semble discutable à d’autres d’autant que les Berbères eux-mêmes ne se sont jamais désignés ainsi ; le nom qu’ils se sont donnés, rapporté par les auteurs latins de l’Antiquité tourne autour d’une racine MZG ou MZK qui a donné AMAZIGH.

L’islamisation du vaste ensemble berbère n’a pas permis parallèlement et intégralement son arabisation, et c’est pourquoi l’on trouve aujourd’hui des groupes berbérophones plus ou moins importants disséminés sur une dizaine de pays : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Lybie, l’Egypte, la Mauritanie, le Niger, le Mali, le Burkina-Faso, le Nigéria. Chaque groupe a développé un dialecte propre mais tous ont le même fond commun que tout berbérophone d’un groupe donné peut reconnaître chez un autre. Etant donné leur répartition géographique, il est très difficile d’avancer des chiffres quant à l’importance démographique de chacun d’eux. Néanmoins les spécialistes proposent les estimations suivantes.

Le Maroc compte trois grandes zones dialectales le Rif, le Moyen-Atlas et le Haut-Atlas, l’ensemble représentant 40 à 50% de la population marocaine, soit environ 10 millions de personnes.

L’Algérie regroupe la Kabylie, les  Aurès, le Mzab, les Touaregs    du Sahara, ainsi que d’autres groupes plus restreints. Leur totalité constitue 20 à 30 % de la population algérienne, soit  environ 5 millions d’individus.

 La Tunisie n’abrite que quelques 50.000 personnes au Sud.

Le Niger compte 500.000 Touaregs environ, et le Mali 3-400.000.

Bien que ces chiffres  ne soient que des estimations il est aisé de constater que la berbérophonie représente  bien plus qu’un vestige du passé et qu’elle constitue bel et bien une dimension  importante de l’id- entité maghrébine. Les linguistes s’émeuvent devant la persistance de cette langue à travers les vicissitudes de l’histoire alors qu’elle n’a guère développé son système ancien d’écriture, le libyque que seuls les Touaregs ont su conserver (même s’il a évolué) par l’usage des tifinagh.

Au Niger et au Mali, la langue berbère touarègue a acquis un statut de ‘langue nationale’, En revanche,  dans les pays du Maghreb, elle ne bénéficie d’aucune reconnaissance  des Etats et demeure une langue

minoritaire dominée par I’ arabe, seule langue officielle .Toutefois, une véritable dynamique s’est amorcée ces dernières années au Maroc et en

Algérie ; de nombreux chercheurs marocains s’attachent à l’étude spécialisée  du domaine  berbère, tandis que le mouvement culturel berbère en Algérie développe des activités de publication, met en place des groupes  de réflexion  sur les  différents aspects de la question (langue, histoire, culture, littérature, etc..).Toujours en Algérie, il a été créé, dans les universités de Tizi-Ouzou et de Bougie, les deux villes kabyles les plus importantes, un magistère dans le cadre officiel d’un département de Langue et Culture Berbère. En outre, en avril 1991, un colloque international intitulé ‘Unité et diversité de tamazight’s’est tenu à Ghardaïa (Algérie). Actuellement l’intérêt grandissant des berbérophones eux-mêmes pour leur langue et leur culture se manifeste parallèlement à une revendication plus affirmée de leur existence et à une réappropriation de leur identité.

G. Devereux nous dit que la diversité des cultures et des identités ethniques est indispensable à la  civilisation humaine. Il développe un point décisif sur la notion d’identité ethnique tant sur le plan logique que sur le plan pratique ; « L’assertion « X est une belle langue  » est une assertion vraie mais ne peut être fonctionnelle que si elle implique une appréciation non péjorative d’une autre assertion, « Y est une belle langue » bien que d’une manière différente. L’inverse, il va sans dire    est également vrai. Toute ethnie incapable d’admettre ce fait élémentaire se condamne elle même, dissociative ment  à dériver lentement en tant que système clos  vers un manque de sens total, et annihile graduellement l’individu qui se réduit à une simple unidimentionnalité ».                          

Bibliographie

G. Camps, Berbères aux marges de l’Histoire, 1980.

G. Devereux, Ethnopsychiatrie complémentariste, Paris, 1972.

Article destiné à la revue Bulletin of Francophone Africa. Maghreb Research Group. University of Westminster. Number Four. Autumn 1993.

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