31/08/2024

FEMMMES D’ALGERIE

COMPTE RENDU PAR NEDJIMA PLANTADE

DEJEUX, J. Femmes d’Algérie : légendes, traditions, littératures. Paris : La Boîte à documents, 1987, 321 p. + biblio.

  Spécialiste de la littérature maghrébine, l’auteur nous offre ici un panorama complet des grandes figures féminines d’Algérie. Utilisant la technique du gros plan, il explore trois registres fondateurs, le mythe, l’histoire et la littérature, pour nous dévoiler avec bienveillance le visage de ces femmes.

  Dans l’ordre du mythe, la présence des femmes s’expriment dans la pierre telles que les présentent les nombreuses légendes de pétrification qui racontent comment, après avoir commis une faute grave ou transgressé un tabou (souillure de la nourriture par des excréments de bébé, sexualité hors norme, inceste…) on  subit  immanquablement le châtiment divin de la pétrification, la pierre symbolisant pour l’éternité la faute commise. La résonnance de ces légendes avec la mythologie antique (gréco-romaine, sémitique), notamment celle de la Méduse qui changeait en pierre ceux qui osaient  la regarder est tout à fait attestée. On rencontre ces légendes  d’un bout à l’autre de l’Algérie: Tlemcen, Mascara, Guergour, Kabylie, etc., mais aussi en Tunisie et au Maroc. Quelquefois, ces légendes mettent en  scène une pétrification bénéfique  qui permet de se tirer d’un mauvais pas, et qui  n’est alors que temporaire. Toutes ces légendes ont pour point commun de réduire la femme définitivement au silence.

     Toujours dans le domaine de la mythologie, un chapitre entier est consacre au  mythe d’Antinéa créé par Pierre Benoit (1866-1962) dans son roman L’Atlantide  paru en 1919. Cet auteur, affecté en Algérie pour son service militaire, fut fortement impressionné par le « Tombeau de la Chrétienne à Tipasa «  où il imagina que fut enterrée l’aïeule de son héroïne; il fut fasciné également par les paysages du Hoggar et ses habitants. Cette Antinéa, façonnée par son talent, eut de multiples échos : certains lecteurs l’ont assimilée à Tin Hinan, la reine légendaire des Touaregs alors qu’elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre … “On pourrait aussi

bien penser à Tanit” nous dit Jean Déjeux. Le mythe d’Antinéa et celui de l’Atlantide comme paradis perdu continue de nourrir l’imaginaire contemporain.

  Après les légendes et les mythes, l’auteur nous fait          entrer dans l’Histoire avec la Kahina, cette reine berbère des Aurès qui résista vaillamment à l’envahisseur arabe. Ceux qui ont écrit sur cette héroïne sont si nombreux qu’on y trouve aussi bien l’histoire  que le mythe, la légende et les traditions historiques : prophétesse, juive, chrétienne, combattante, la Kahina est décrite par les auteurs comme étant tout cela et comparée dès lors à Déborah ou à Jeanne d’Arc. Cette dimension mythique s’est  vue renforcée au fil des romans et des pièces de théâtre qui continuent de s’écrire sur cette reine berbère, témoin des débuts de l’expansion musulmane en Afrique du Nord.

    Dans la période qui s’étend du  XIème au  XVIIIème siècles, à travers les chroniques et les traditions, on rencontre encore des figures de femmes qui ont su demeurer dans les mémoires. Ainsi celle de la Djazya de la Geste des Banû Hilal et dont la naissance serait miraculeuse. Femme à la beauté légendaire, rusée et courageuse, toujours  fidele aux siens, elle fait partie de ces femmes nombreuses qui stigmatisent leurs hommes dans les batailles pour les stimuler et leur donner l’ardeur nécessaire. Certaines  chroniques rapportent que même aux époques proches de nous les femmes crient, s’agitent et lancent de vives injonctions à leurs maris pour les exciter au combat et les empêcher de fuir. Certaines femmes apparaissent douées de sagesse comme Bent-el-Khass, ou empreintes de sainteté comme Lalla Setti. Au XVIIIème siècle, Euldjia Bent Bouaziz des Hanencha,  dans le Nord-est algérien, est rendue  célèbre par ses exhortations efficaces adressées aux combattants en lutte contre les Turcs. D’autres noms jalonnent cette période: Oum-Hani, la Djellabiya des Ben Djellab de Touggourt,  Lalla Aïchouch « rayonnant par sa beauté et par son bon sens ».

    Plus près de nous, au cours des XIXème et XXème siècles,  émergent d’autres héroïnes dont les silhouettes sont plus précises grâce à des témoignages directs:

Messaouda de Ksar el-Hiran se jetant dans les combats et exaltant les hommes à se battre; Lalla Fathma n’Soumeur de Grande-Kabylie, pieuse, patriote et femme de bon conseil sur laquelle on raconte qu’elle prédisait l’avenir, délivrait des oracles et soignait les malades. Toujours en Kabylie, surgissent deux autres noms de femmes patriotes, celui de Lalla Soraya et celui de Tacmoussi à Bédjaïa. Avec Aurélia Tidjani nous quittons l’épée et la guerre pour trouver une « femme de cœur, de tête, de commandement, et d’organisation » : Venue en France, elle épousa le cheikh Si Ahmed El-Tidjani, puis, après le décès de celui-ci, son frère Si Bachir, mais demeura catholique jusqu’à sa mort en 1933. Elle consacra sa vie à servir la confrérie de sa famille d’alliance, la Tidjaniya, près de Laghouat, faisant  preuve de bonté, de compréhension et de discrétion. Parmi les militantes actives ayant participé à la  guerre  d’indépendance, on peut retenir les noms de Ourida Meddad, Malika Gaïd, Hassìba Ben Bouali, Naciba Malki et d’autres encore.

    La troisième partie, intitulée “Par la plume”, recense les femmes s’exprimant par l’écriture. Un chapitre entier est consacré à Isabelle Eberhardt, écrivain née d’un  père inconnu et d’une mère allemande, elle-même fille naturelle d’un banquier juif. Après la mort de sa mère, elle voyage beaucoup. En 1898, elle se retrouve à El Oued et aime Slimène Ehni qu’elle épouse à Marseille. Elle meurt noyée en 1904 à l’âge de vingt-sept ans. L’auteur ne nous dit rien du contenu de son œuvre,  sinon   que ses préoccupations   tournent autour de la solitude intérieure et de la quête  spirituelle.

    Les périodes où les femmes ont le plus écrit se situent entre 1919 et 1939, pour laquelle on compte soixante-cinq œuvres  et vingt-trois auteurs d’une part, et de 1941 à 1962, pour laquelle on dénombre vingt-cinq œuvres  et vingt-quatre auteurs d’autre part. Parmi les romancières juives on relève les noms d’Elissa Rhaïs  intéressée par “l’affrontement des désirs passionnels, l’exaltation des sens, la jalousie, le dénouement tragique”, de Blanche Bendahan qui “se veut ouverte,  attentive à son époque, tolérante”, de Rosalia Bentami dont le roman raconte le drame d’une Algérienne musulmane mais aussi la casbah d’Alger, et Irma Ychou qui “a voulu s’intéresser à l’évolution des mœurs  à travers une famille »· Dans  l’Algérie d’aujourd’hui on compte plus de quatre-vingts  Algériennes ayant publié romans, nouvelles ou poèmes. Parmi celles-ci, Taos Amrouche, Assia  Djebar et d’autres figurent dans des anthologies de littérature d’expression française ou des dictionnaires biobibliographiques.                       

    Une importante  bibliographie  (21 pages) clôt cet ouvrage qui, sans conteste, constitue une somme concernant les femmes algériennes célèbres ; on aurait  d’ailleurs souhaité un index qui faciliterait grandement la consultation  de cet outil de travail. Malgré une présentation linéaire et une absence de lien justifiant le passage entre la femme mythique, la femme combattante et la femme de lettres, ce livre demeurera une référence indispensable pour quiconque s’intéresse à ces domaines.

Article destiné à LITERRATURE ORALE ARABO-BERBERE N°18_1997

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